Christophe Chenut, Directeur Général de Citizen Entrepreneurs a dirigé ce qu’il appelle des « ingérables », des talents irremplaçables aux ego surdimensionnés. A l’occasion de la sortie de son livre Ingérables ! Comment manager vos talents en entreprise ? (Éditions Bréal), coécrit avec Jean-Baptiste Guégan, retrouvez l’interview de Christophe Chenut dans Forbes :
Audrey Chabal : Vous parlez des « ingérables », qui sont-ils ?
Christophe Chenut : J’ai toujours été dirigeant d’entreprise, et le point commun de toutes celles que j’ai pu piloter est qu’elles étaient composées de gens qui avaient de réels talents et les ego qui vont souvent avec. Cela a été un plaisir d’avoir à manager ces personnalités que l’on peut qualifier d’ingérables, de difficiles, mais qui ont une vraie valeur ajoutée. Aujourd’hui, dans toutes les entreprises, les managers doivent composer avec ces ingérables, des personnalités plus ou moins talentueuses, plus ou moins complexes, à tel point que la nouvelle génération des millennials partage de nombreux points communs avec ce type de personnalitéset donc attend d’être managée de cette façon individualisée et pas de manière standardisée.
À la lecture de votre ouvrage, on sent que pour vous talent et ego sont forcément liés, est-ce vraiment toujours le cas ?
C. C. : Talent et ego, mais attention, pas forcément ego et talent! Il y a des ego sans talent et ces derniers, il vaut mieux les envoyer chez le concurrent. On a tous croisé des personnalités difficiles qui n’apportent pas à l’entreprise la valeur ajoutée suffisante par rapport aux problématiques qu’elles créent. En revanche, quelqu’un qui a un vrai talent aura forcément un ego, car son talent l’amènera à être plus exposé, parfois médiatisé. Avoir un ego est aussi un moteur de motivation. La vraie star est toujours là quand on a besoin qu’elle livre quelque chose.
La définition du talent reste subjective, c’est donc au manager de le repérer…
C. C. : Mis à part certains talents universels, tels que ceux des grands footballeurs, des créateurs ou de certaines stars, c’est en effet au manager de repérer le talent et de lui donner les meilleures conditions pour qu’il s’exprime. Dans les métiers de création, ce que les talents souhaitent, c’est avoir les meilleures conditions pour exprimer leurs capacités, ce n’est pas forcément le meilleur salaire.
En quoi des mannequins comme Kate Moss ou Kendal Jenner, dont vous parlez dans votre ouvrage, sont-ils des talents différents des autres ?
C. C. : Je dirais que ces talents ont une forte autonomie. Un peu comme les footballeurs, ces mannequins ont un agent et un contrat qui est assez fragile dans la mesure où, si l’agent ou le mannequin décide de changer de maison et d’aller chez le concurrent, c’est possible, à la différence d’un salarié qui sera plus associé dans la durée à une entreprise. La différence est donc qu’il faut être très attentif à leurs besoins, à leurs envies. Car demain, si un client veut Kendall Jenner et qu’elle a décidé d’aller ailleurs, il passera par une autre agence. Il est donc indispensable de nouer une fidélisation de ces gens- là qui passe par la considération.
Vous parlez de considération, votre ancien collègue Xavier Romatet parle dans votre ouvrage de confiance et de respect. Pour quelles raisons la fidélisation passe-t-elle obligatoirement par là ?
C. C. : Comme le dit Xavier Romatet, il n’y aura jamais deux soleils dans une entreprise. Il faut donc faire confiance aux talents, les mettre en avant, les respecter, ne jamais les mettre en défaut en public. Le management passe par la confiance que l’on a en soi pour pouvoir dire aux talents « je te fais confiance ». En revanche, il est nécessaire de leur indiquer vos propres contraintes, sans pour autant remettre en cause leur créativité.
Quels sont les événements qui vous ont marqué dans la gestion de ces talents ?
C. C. : Les grilles de salaires, le reporting, la fiche de poste, les entretiens de fin d’année et les dépôts de dates de vacances ou de notes de frais… Tous ces outils-là, oubliez-les quand il s’agit de manager ces talents, car ils considèrent qu’ils en sont affranchis. Ce qui est délicat, c’est de faire comprendre aux autres qu’ils doivent s’y plier quand certains en sont exonérés. L’entreprise doit s’adapter au talent et pas l’inverse, et c’est l’intérêt collectif que de faire ainsi. Il faut beaucoup de dialogue et c’est pour cela que le management est un travail à plein temps. Le deuxième sujet est celui de la remplaçabilité. Certes, les cimetières sont remplis de personnes irremplaçables. Mais souvent, le patron est bien plus échangeable que le talent. Il est plus facile de remplacer l’entraîneur que le footballeur. Attention, pour un footballeur comme pour un mannequin, cette irremplaçabilité ne dure qu’un temps. Passés 30-35 ans, leur comportement doit évoluer, car ils sont de moins en moins irremplaçables. Or, ces personnes ne comprennent pas que la roue a tourné. C’est ainsi pour le footballeur, le mannequin, mais aussi pour le développeur informatique ou le commercial…
Vous parliez des millennials, est-ce que leur fonctionnement est similaire à celui des stars ?
C. C. : Les millennials sont à la recherche de sens, donc ils sont dans une relation différente par rapport à l’entreprise : ils n’en attendent plus seulement un salaire. De plus, ils sont à eux-mêmes un média avec leurs nombreux followers, ils peuvent communiquer, avoir un impact. De fait, ils ont un comportement très libre par rapport à l’entreprise. Ils attendent donc d’être considérés et, dès le début de leur carrière, ils ont du mal à accepter la hiérarchie. C’est un comportement similaire à celui des stars. Les entreprises vont avoir du travail, car les intégrer au bas de l’échelle avec les méthodes de management classiques ne fonctionnera pas.
Les mannequins stars ont une présence forte sur Instagram, comment cela se gère-t-il ?
C. C. : Dans tous les secteurs, on n’achète pas seulement la beauté du mannequin, la technicité du footballeur, le talent du créateur, mais aussi son potentiel médiatique. C’était déjà le cas avec les médias traditionnels, mais c’est quantifiable avec les réseaux sociaux. Le sujet est également plus économique que managérial, avec des annonceurs qui achètent directement leur espace publicitaire auprès des égéries qui sont des influenceurs auprès de leurs millions de followers. Le plus bel exemple est Victoria’s Secret, dont les défilés sont faits avec les plus belles femmes du monde, mais aussi celles qui ont le plus de followers. Ce sujet impacte le marketing du luxe et des médias, car aucun média ne peut garantir une couverture équivalente de la présentation de la collection. Par ailleurs, avec cette communication sans filtre, sans la médiation d’un journaliste, la personnalité peut exposer directement sa vérité.
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